Un aménagement paysager inspiré de la permaculture consiste à créer un écosystème où la biodiversité est au cœur, en privilégiant des ressources utiles, durables et autonomes. L’objectif est d’atteindre un équilibre naturel et dynamique. Aujourd’hui, je vous invite à découvrir la forêt nourricière, un aménagement qui s’inspire de la forêt pour devenir autonome et évoluer naturellement.

La forêt nourricière, c’est quoi?

La forêt nourricière est un système de culture qui s'inspire des écosystèmes forestiers pour créer un environnement où diverses plantes coexistent de manière synergique. Ce type d'aménagement paysager met en place une variété d'arbres, d'arbustes et de plantes herbacées, principalement vivaces et souvent comestibles. Contrairement à une monoculture, la forêt nourricière est une polyculture, c'est-à-dire un assemblage de plantes variées qui augmente la biodiversité et offre une récolte diversifiée à ceux qui l'initient.

En suivant les principes de la permaculture, l'objectif est de concevoir un écosystème durable qui nécessite peu d'intervention humaine une fois qu'il a atteint sa maturité. Bien que le terme « forêt » soit utilisé, il s'agit davantage d'une métaphore pour décrire un système de culture qui imite les caractéristiques d'une forêt naturelle, notamment l'association complémentaire d'arbres, d'arbustes et de plantes herbacées. Cette approche permet de créer un environnement autonome et résilient, capable de produire une abondance de récoltes avec un minimum d'entretien.

Le concept de forêt nourricière a été popularisé par Wen Rolland, et bien que d'autres termes similaires existent, tels que « jardin-forêt » ou « forêt comestible », le terme « forêt nourricière » est celui qui est le plus couramment utilisé au Québec.

Dans une forêt nourricière, l'arbre est au cœur de l'aménagement. L'objectif est de planter des arbres en tenant compte du résultat final souhaité, puis de compléter l'espace avec les autres strates de végétation. Dans une forêt nourricière, chaque espace est occupé, laissant peu de place au vide.

Ce qui me permet de faire un lien avec cet article portant sur les strates. En fait, dans un aménagement paysager en 3D, les strates jouent un rôle clé pour donner de la profondeur et du style à vos plates-bandes, comme le fait le concept de forêt nourricière. Les strates se réfèrent aux différentes couches de végétation dans un espace, allant des plantes basses aux arbres les plus élevés. En combinant judicieusement ces niveaux, on peut créer un effet visuel dynamique et harmonieux.

Quels sont les résultats recherchés avec ce concept?

L’aménagement d’une forêt nourricière s’inspire de la nature pour créer un système qui devient autonome avec le temps. Cependant, les objectifs que vous définissez influencent plusieurs aspects de cette forêt. Le nombre d'arbres, leur espacement, ce qui poussera dans les strates inférieures - tout cela dépend de vos choix. Souhaitez-vous inclure des plantes potagères annuelles? Ces décisions affectent non seulement l'apparence de votre forêt nourricière, mais aussi la quantité de travail nécessaire pour la mettre en place.

Qu’est-ce qui différencie un aménagement comestible d’une forêt nourricière?

1. Le choix des plantes

Le choix des plantes est crucial dans une forêt nourricière, car elles remplissent souvent plusieurs fonctions. L'idée est de créer un environnement qui demande de moins en moins de travail, tout en nourrissant l'humain et l'écosystème.

Exemples :

  • Plantes fixatrices d'azote : Elles capturent l'azote de l'air et le fixent dans le sol, le rendant accessible aux autres plantes (ex : la famille des fabacées (haricots, pois, fèves…), le caragana, l’argousier, le trèfle, le lupin, l’olivier de bohème et bien d’autres).
  • Plantes qui améliorent la structure du sol : Certaines augmentent la matière organique (ex : l’érable, le févier), tandis que d'autres, avec leurs racines profondes, remontent les minéraux vers la surface (ex : l’artichaut, l’amélanchier, le chêne, etc).
  • Plantes mellifères : Ces plantes, telles que la lavande et le thym, produisent du nectar et du pollen en grande quantité, attirant ainsi les pollinisateurs. Plusieurs plantes sont très mellifères : le tournesol, le pissenlit, le muscari, le rhododendron, le seringat, la clématite, la bourrache, l’origan…
  • Plantes aux multiples fonctions : Elles peuvent offrir des fruits, des fleurs, des racines comestibles, être médicinales, ou encore repousser les insectes nuisibles (ex : les arbres fruitiers, les fines herbes, les légumes vivaces).

2. L’aménagement des strates

Dans une forêt nourricière, nous retrouvons les 4 strates naturelles suivantes :

  1. L’étage arborescent : Comprend les arbres fruitiers (pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers), les arbres à noix, les érables, les chênes, etc.
  2. L’étage des arbustes : Inclut les noisetiers, framboisiers, mûriers, argousiers, amélanchiers, bleuets, sureau du Canada, etc.
  3. La strate herbacée : Composée de plantes comestibles indigènes telles que l'aralie à grappes, l'aronie, le gingembre sauvage, la menthe, le kale, etc.
  4. Les plantes rampantes et annuelles : Comme le thym serpolet, les violettes, les fraises, les carottes, le brocoli, le chou, etc.

Pourquoi aménager une forêt nourricière?

Aménager une forêt nourricière présente de nombreux avantages qui profitent à la fois à l’environnement et à l’humain.

  1. Bénéfices environnementaux
  • Séquestration du carbone : La forêt nourricière capture et stocke les gaz à effet de serre dans la biomasse du sol.
  • Gestion de l'eau : Elle aide à stocker l'eau, réduisant les risques d'inondations, de sécheresses et d'érosion du sol.
  • Habitat pour la faune : Elle offre un refuge à diverses espèces d'insectes, d'animaux et de pollinisateurs.

 

  1. Production durable :
  • Récoltes diversifiées : Fournit une variété de produits comestibles comme des fruits, des noix, des légumes, des champignons, des plantes médicinales et des fleurs comestibles, souvent sans avoir besoin de replantation annuelle.
  • Aliments sains : Produit des aliments locaux cultivés de manière écologique et durable.
  1. Faible entretien :
  • Autonomie : Une fois mature, elle nécessite peu d'interventions humaines pour maintenir sa productivité.

 

  1. Biodiversité et écologie urbaine :
  • Contribution à la biodiversité : Améliore la biodiversité en milieu urbain, créant des oasis pour les oiseaux et les pollinisateurs et augmentant la diversité végétale.
  • Impact positif sur les écosystèmes : Favorise la fertilisation naturelle et a un impact positif sur le sol.

 

  1. Bien-être humain :
  • Connexion à la nature : Permet aux gens de se reconnecter avec la nature, offrant un espace de loisir et de détente.
  • Bien-être physique et mental : Contribue au bien-être physique et mental des individus grâce à des espaces verts apaisants.

 

  1. Utilité des plantes  :
  • Plantes utiles : Contient des plantes bénéfiques pour l'humain et la nature, comme les pollinisateurs et celles améliorant la fertilité du sol.

 

  1. Résilience face aux changements climatiques :
  • Stabilité en conditions climatiques changeantes : Les forêts nourricières, une fois bien établies, tendent à être plus résistantes aux sécheresses, inondations et autres perturbations climatiques. Elles fournissent une source de nourriture et de subsistance stable même en période d'incertitude climatique.

 

  1. Amélioration de la qualité de l'eau :
  • Filtration naturelle : Elles jouent un rôle crucial dans la filtration de l'eau, réduisant la pollution et protégeant les ressources en eau. Cela contribue à améliorer la qualité de l'eau potable, ce qui est essentiel pour la santé humaine et écologique.

 

Les aménagements comestibles, tels que les plantations d'arbres fruitiers, les vergers traditionnels, les espaces nourriciers, les aménagements comestibles et les potagers, offrent chacun des avantages spécifiques et des défis uniques.

Alors que les plantations d'arbres fruitiers et les vergers traditionnels se concentrent sur la culture d'espèces spécifiques avec un entretien régulier, les espaces nourriciers et les aménagements comestibles intègrent une variété de plantes dans des configurations plus diversifiées, nécessitant une gestion active. Les potagers, quant à eux, sont dédiés à la culture de légumes annuels, demandant une attention constante pour la plantation et la récolte.

En revanche, la forêt nourricière se distingue par sa capacité à évoluer vers une autonomie presque totale. Après une période initiale de mise en place et d'entretien intensif, elle devient un écosystème autosuffisant, produisant une riche diversité de produits comestibles, tels que légumes vivaces, fruits, herbes, champignons et noix, avec peu d'interventions humaines nécessaires. Toutefois, atteindre cet état d'équilibre et de renouvellement naturel demande un investissement significatif de temps et d'efforts. Une fois mature, la forêt nourricière offre une solution durable et résiliente, contribuant à la biodiversité et à la stabilité écologique.

Regrouper les végétaux par « strates »

Bien que les systèmes forestiers offrent un excellent exemple de durabilité dans notre climat, certaines caractéristiques, telles que l’ombre dense générée par les arbres à maturité, ne sont pas toujours souhaitables dans l’aménagement d’une forêt nourricière. L’objectif principal est de créer un environnement qui optimise l’ensoleillement et la disponibilité des ressources nécessaires pour cultiver une variété de produits. Pour atteindre cet objectif, la conception d’une forêt nourricière repose sur l’organisation des plantes en différentes « strates », ou étages, chacune ayant des fonctions multiples et complémentaires pour une synergie durable.

Une forêt nourricière est généralement composée de 7 strates principales :

  1. Arbres de canopée : Formant la couche supérieure, ils fournissent de l’ombre et une protection contre les intempéries.
  2.  Grands arbustes : Plantés principalement entre et sous les arbres de la canopée, ils ajoutent de la diversité, offrent des récoltes variées et contribuent à la structure de la forêt.
  3. Petits arbustes : Ils occupent un niveau intermédiaire et contribuent à la diversité et à nourrir le système complet (les insectes, petits et gros animaux, etc.).
  4. Plantes herbacées : Situées sous les petits arbustes, elles offrent des récoltes variées et favorisent la biodiversité.
  5. Plantes de racines : Cultivées pour leurs racines et la rhizosphère, elles jouent un rôle crucial dans la gestion du sol et des nutriments.
  6. Plantes couvre-sol et champignons : Ces plantes aident à protéger le sol, à prévenir l’érosion et à créer un habitat pour les champignons.
  7. Plantes grimpantes : Elles utilisent les structures existantes pour croître, maximisant ainsi l’utilisation de l’espace vertical.

Voici une liste de végétaux d’intérêt pour les forêts nourricières au Québec

  • Légumes vivaces : asperge, rhubarbe, scorsonère, oignon marcheur, hosta
  • Légumes racines vivaces : topinambour, chervis, raifort, glycine tubéreuse, sceau de Salomon
  • Verdures : oseille, marguerites, persil, épinards vivaces, roquette sauvage
  • Fines herbes : sauge, livèche, ciboulette, hysope, origan, menthe, mélisse, lavande, thym
  • Arbres fruitiers : pommier, poirier, prunier, amélanchier, cerisier, mûrier arbre
  • Arbustes fruitiers : sureau, cassis, cerisier, groseillier, camerisier, framboisier, aronia, viornes
  • Vignes : kiwi arctique, raisin, houblon, glycine tubéreuse
  • Arbres à noix : noisetier, pin à noix, noyer noir, noyer Buartnut, caryer ovale
  • Fleurs comestibles : hémérocalle, monarde, hosta, campanule, hibiscus, gainier du Canada
  • Champignons : shiitake, pleurote, strophaire rouge vin, hydne hérisson
  • Fixateurs d’azote : robinier faux-acacia, argousier, caragana, trèfle, baptisia, glycine tubéreuse, aulne
  • Plantes de fertilité : consoude, ortie, luzerne, trèfle, pissenlit
  • Plantes médicinales : astragale, houblon, argousier, achillée millefeuille, hysope

La niche écologique

La niche écologique d’une espèce regroupe l’ensemble de ses interactions dans l’écosystème : son habitat, son régime alimentaire, ses activités, ainsi que ses relations avec le milieu environnant et les autres espèces. Cette notion est cruciale pour comprendre comment chaque organisme contribue au fonctionnement global de son environnement. En observant et en intégrant ces interactions, nous pouvons mieux concevoir des systèmes durables qui favorisent la biodiversité et l’équilibre écologique.

La forêt nourricière, jardiner comme la forêt, et non dans la forêt

La forêt nourricière s'inspire des forêts naturelles, mais ne cherche pas à les reproduire exactement. Au lieu de cela, elle utilise la forêt comme modèle pour créer des écosystèmes adaptés aux besoins humains tout en soutenant la vie animale, végétale, et microbienne. Depuis que j’ai introduit le terme « Forêt Nourricière » en 2009, mon objectif a été de concevoir des jardins en polyculture vivace capables de nourrir non seulement les humains mais aussi l’ensemble de l’écosystème. Ces jardins visent à offrir un environnement productif, fonctionnel et esthétiquement plaisant, tout en nourrissant l’inspiration de ceux qui y travaillent.

Pourquoi s’inspirer de la forêt?

Les systèmes forestiers illustrent parfaitement la productivité et la résilience dans notre climat. Ils se régénèrent et se fertilisent naturellement, générant de l'air pur, de l'eau propre et un sol riche en éléments nutritifs sans intervention humaine. En intégrant ces principes dans la conception des forêts nourricières, nous cherchons à créer des écosystèmes qui imitent ces processus naturels tout en répondant aux besoins humains.

L'évolution naturelle des espaces

La nature ne tolère pas les sols nus, préférant des processus de succession qui conduisent à une végétation plus complexe, comme la forêt. Nos jardins, souvent confrontés à un excès de désherbage, tentent de suivre cette succession en favorisant d’abord les plantes herbacées pionnières pour préparer le sol aux arbustes, puis aux arbres. La forêt nourricière est une approche qui encourage cette succession naturelle.

Comparaison de l’aménagement comestible avec une forêt nourricière

Mon propre projet d’aménagement comestible, commencé en 2018, a évolué avec le temps pour intégrer des principes de forêt nourricière. Initialement, je n’avais pas envisagé cette approche, mais les résultats ont confirmé son utilité comme source d’inspiration pour mes projets et ceux de mes clients. Voici quelques aspects essentiels pour la création d’une forêt nourricière :

  • Choix du site : Un emplacement approprié avec bon drainage, ensoleillement et accès à l’eau est crucial. En terrain résidentiel, il est important d’adapter l’utilisation des zones ensoleillées et ombragées aux besoins des plantes. Il est aussi possible de créer de l'ombre pour la maison et certains espaces de vie en particulier.
  • Analyse du sol : Connaître les propriétés du sol est essentiel pour choisir les plantes adaptées. Dans mon cas, j’ai ajusté ma stratégie en fonction des caractéristiques du sol, sans tests formels mais avec une observation et une amélioration continue.
  • Sélection des plantes : Choisir des espèces adaptées au climat local et aux conditions de sol est fondamental. Mon projet vise à fournir une autonomie alimentaire tout en attirant les pollinisateurs et en améliorant le sol, en tenant compte des besoins en eau et des caractéristiques du terrain.
  • Création d’un design réfléchi : La conception d’un écosystème demande réflexion et ajustements. Mon projet évolue chaque année avec des expérimentations et des ajustements pour optimiser l’utilisation de l’espace et la productivité, avec pour objectif à terme d’aménager entièrement le terrain selon le concept de forêt nourricière.

Entretien de départ d’une forêt nourricière

Arrosage

L’arrosage est crucial pour les plantes nouvellement installées au cours des 2 premières années. Pendant cette période, il est essentiel de rester attentif aux conditions météorologiques et d'intervenir uniquement pour compléter le travail de Dame nature. Les plantes nécessitent un arrosage régulier, idéalement 2 à 3 fois par semaine, surtout en période de sécheresse. L’eau est indispensable pour leur établissement et leur croissance initiale, et il est important de surveiller attentivement les périodes de sécheresse qui peuvent nécessiter une attention particulière.

Taille et formation

Les jeunes plantes sont à leur meilleure période pour être taillées et formées. Ce processus est essentiel pour :

  • Faciliter la récolte : Une taille appropriée permet un accès plus facile aux fruits et légumes.
  • Former une bonne structure : La taille aide à développer une structure robuste pour les arbres, arbustes et vignes.
  • Favoriser la croissance : Une taille régulière stimule une croissance saine et équilibrée.
  • Préserver la santé : Éviter les maladies et les problèmes en maintenant une bonne structure et une circulation d’air adéquate.

Désherbage

Le désherbage est une tâche importante, surtout durant les 2 premières années. Les mauvaises herbes peuvent concurrencer les plantes cultivées pour les ressources. Mon mantra : « Il faut désherber comme dans un potager les 2 premières années. » En éliminant régulièrement les mauvaises herbes, vous assurez que vos plantes reçoivent les nutriments et l'espace dont elles ont besoin pour prospérer.

Paillage

Appliquer une couche de paillage autour des plantes est bénéfique pour plusieurs raisons :

  • Conserver l’humidité : Le paillage aide à maintenir l’humidité du sol, réduisant ainsi la nécessité d’un arrosage fréquent.
  • Limiter les mauvaises herbes : Une bonne couche de paillage limite la croissance des mauvaises herbes.
  • Protéger le sol : Le paillage protège le sol de l’érosion et du gel excessif.
  • Nourrir le sol : Avec le temps, le paillage se décompose et enrichit le sol, contribuant ainsi à la fertilité et aidant l’écosystème à devenir plus autonome.

Les forêts nourricières incarnent une approche à la fois écologique et durable, apportant une richesse de bienfaits pour notre environnement, notre santé et notre alimentation. En adoptant les principes de la permaculture, ces systèmes favorisent la biodiversité, renforcent la résilience climatique et soutiennent la durabilité des systèmes alimentaires locaux.

N’est-ce pas inspirant de transformer notre environnement en un havre de paix où chaque élément travaille en harmonie pour créer un écosystème luxuriant et auto-suffisant?

Imaginez un espace qui non seulement nourrit notre corps et notre esprit, mais qui embellit également notre quotidien. Créer un petit coin de paradis en intégrant ces principes peut transformer notre espace de vie en un véritable sanctuaire.

Marie-Joëlle Saucier, Paysagiste Conseil